martes, 10 de julio de 2007

Entre le marteau et l'enclume















"Faites des images autoportables et autoportées. Surtout ne les faites pas pour faire du graphisme."
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PAR HÉLÈNE AMBLARD
Journaliste et écrivain
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Alex Jordan anime l’atelier Nous Travaillons Ensemble*, à l’origine de nombreuses interventions et réalisations de communication visuelle dans l’espace urbain. Cet ancien de Grapus est également professeur titulaire du département Design à l’école des Beaux-Arts de Berlin.
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Dans la ville, la communication n’apparaît pas toujours comme une chose très simple... Entendons-nous sur les mots. La communication municipale est d’abord tout ce qu’énonce une municipalité élue en direction des électeurs. Mais si le pouvoir municipal a le devoir d’instaurer une communication au service de tous, ce qu’il an- nonce et à quoi il parvient parfois, il se laisse le plus souvent avoir par la logique de campagne électorale, continuant (ou anticipant) la propagande. Une communication bien comprise, tout en mettant en œuvre le programme politique de l’équipe mandatée par les électeurs, n’oubliera jamais l’intérêt général dans l’esprit du service public. Pour ceux qui travaillent à la réalisation concrète de cette communication, les dircom., les journalistes, les vidéastes, les photographes et les graphistes, se pose la question du cadre de la prestation de service et de ses contraintes lourdes. Restons simplement du côté des graphistes. Généralement on fait appel à eux pour mettre des messages déjà élaborés dans une forme “convenable”. (Ils sont censés habiller ces messages.) Le graphiste est alors une sorte d’assistant à la mise en forme visuelle de ces derniers. Malheureusement les politiques interprètent souvent ce rôle d’une manière un peu réductrice, reconnaissant dans le graphiste plus un prestataire de service qu’un créatif. Cette vision (réductrice) du rôle des graphistes est contestée par certains d’entre eux qui lui préfèrent une définition citoyenne du métier et revendiquent leur participation à la conception des messages; ce qui sous-entend naturellement “s’impliquer”, “se mouiller”. Et aussi “laisser tomber” s’il y a incompatibilité de points de vue.

Concrètement?
Prenons par exemple un bilan de mandat. La plupart vantent d’imaginaires “paysages florissants”, des populations vaillantes et propres, rayonnantes de bonheur; une encre positive complètement décadrée et forcée comparée aux nuances de gris du quotidien citoyen. Un bon bilan de mandat supposerait qu’on montre des succès de gestion incontestables, des projets en chantier, mais aussi des échecs! Et même dans ce cas, la bonne intention peut tourner à la déconfiture, si le graphiste concepteur cherche à briller en infligeant à ce bilan des tapisseries typographiques et/ou “Photoshopiques” genre Carson maldigéré, hermétiques, incompréhensibles pour la population d’une ville de banlieue noyée dans des problèmes d’illettrisme, d’insécurité, de racisme, de chômage.

Le statut d’auteur en qualité de graphiste est-il compatible avec ce type de relations?
La prestation de service consiste soit à se soumettre sans états d’âme au commanditaire, soit à travailler avec sa conscience de citoyen et à chercher un dialogue constructif et une complicité avec le commanditaire. Il s’agit de revendiquer un acte citoyen car je crois que l’implication politique et la distance critique sont complémentaires, même si c’est une vision plutôt idéaliste. Un graphiste-auteur qui revendique son statut d’artiste n’est pas un prestataire de service et doit impérativement prendre du recul dans son travail.

Comment mettez-vous en pratique de tels principes?
Difficilement. Nous sommes en quelque sorte “multiculturels”, “multimédias”, “aquarelle” et compagnie... Nous essayons de regarder et de réagir au-delà de l’horizon professionnel – au-551.2000 delà du ghetto professionnel –, sans faire de nos convictions un “manifeste”, une bombe d’arguments qui serait le code de conduite du graphiste (politiquement, non pas correct, mais juste) du IIIemillénaire. Restant les pieds sur terre, nous essayons d’inventer et de faire circuler des signes et des images “décryptables” par tout un chacun. Utiliser un cœur pour une action d’entraide peut être tout autre chose qu’une platitude. Le cœur reste l’un des symboles évoquant le mieux, dans le monde occidental, la bonté, la générosité, la solidarité: “un cœur gros comme ça” reste une phrase-image débordante de sens. Il ne s’agit pas pour autant de reprendre à l’infini les signes “reconnus”. “Popularisation” ne signifie aucunement nivellement par le bas.

Vous vous situez entre le marteau et l’enclume...
Toute entité publique, ville, département,etc., constitue une sorte de chantier idéologique où tout est en mouvement, où les rapports de force cherchent jour après jour leur équilibre, où les responsables passent leur temps à ajuster, rarement dans la quiétude. Le graphiste qui pénètre sur ce chantier doit s’attendre à être bousculé, sinon malmené...

Une image efficace ne constitue-t-elle pas forcément un pavé dans la mare, quitte à ne plaire ni aux uns ni aux autres?
Ce risque-là, il faut le prendre de toute façon, même pour une affiche contre les crottes de chiens. Il faut d’abord se débarrasser du déjàvu, de la blague éculée, c’est banal, mais... après ça on tombe vite dans de vrais tabous... Politiques et graphistes disposent rarement de la même donne, n’ont pas le même ancrage, ne regardent pas le même point d’horizon. En fait, si l’on s’en tient à l’affiche, on commence à trouver des idées déjà énoncées ici et là. On admet de grosses crottes multicolores en gros plan, de même que la télévision peut montrer les pires violences. Mettre le doigt sur une plaie, nommer le mal ou se taire, mettre en lumière ou “blackouter” est l’éternelle question de la communication. (Les “politiques” sont souvent obsédés par leur responsabilité publique, au point de pratiquer l’autocensure préventive, même quand elle devient ridicule et revient à “prendre ses responsabilités” à la place des autres, jusqu’à la paranoïa.)

Reste qu’il faut bien se vendre?
Si je ne me trompe pas, 80% des graphistes travaillent dans la publicité. A moins d’être complètement cynique, il est impossible de travailler sans accepter la société telle qu’elle est, produisant et ayant besoin de publicité pour vendre. On peut aller jusqu’à dire que grâce à la “pub” des emplois sont assurés.

Tout s’enchaîne, c’est ce qui fait le système...
Du côté des acteurs du fameux “graphisme d’utilité publique”, on voit bien que les bonnes intentions ne suffisent pas: elles se heurtent assez souvent à leur rapport peu pédagogique avec les politiques. Ils semblent oublier qu’un maire ou autre responsable politique, qu’il soit instituteur, plombier, fonctionnaire ou médecin, peut parfaitement réagir de manière “créatrice” face aux enjeux démocratiques et aux besoins de communication, sans connaître le Bauhaus ni l’École d’Ulm ou les détails du dernier “Designkongress” de Berlin, tout simplement en faisant fonctionner son bon sens... (Un maire comme tout être politique agit en politique responsable pour conserver les valeurs de son environnement – les siennes comprises – et/ou parce qu’il veut changer, améliorer l’état du monde.) Entre ces bonnes raisons et les considérations carriéristes, existent toutes les facettes. J’ajouterais qu’on ne peut pas contourner un maire dans cette République qui a mis sur ses épaules l’écrasante responsabilité de tout (ou presque) ce qui se passe dans son village, sa ville. On peut seulement espérer être compris par lui et son entourage, s’entendre avec eux, gagner leur confiance sans s’abandonner soi-même. On doit essayer d’instaurer une vraie communication entre les “délégants” et les “délégués”. Cela paraît évident, mais dans combien de mairies le graphiste peut-il défendre son projet en direct face au maire, sans le filtre des chargés de communication? Dans la plupart des mairies règne un roi, entouré de sa cour (courtisans compris...).

Vous rêvez d’atteindre et d’associer l’ensemble de la population. Comment y parvenir?
Entre autres par le vivier des associations. Certes nous rencontrons assez souvent des blocages du fait d’associations créées pour soutenir la municipalité, et souvent gérées par des gens faisant partie du paysage politique national, ce qui en fait des dépendances de tel ou tel mouvement. Faire l’éloge de telles associations est un peu pervers car on ne peut pas les considérer comme des contre-pouvoirs quand des “politiques” en sont à l’origine ou, simplement, membres. De toute façon, quand nous débarquons quelque part, nous nous comportons d’emblée comme des citoyens politiques et nous essayons de voir clair. La courtoisie gratuite, les pas feutrés, tout comme la camaraderie franchouillarde n’étant pas notre tasse de thé, vient un moment où il faut appeler un chat un chat. Au risque de voir les portes rester fermées? Les téléphones sont généralement derrière les portes, et c’est vrai, certaines ne s’ouvriront pas devant nous. Encore que tout dépende du locataire. Et puis il y a un autre problème, plus terrestre celui-là, travailler avec une ville suppose un rapport de commanditaire-client avec devis, bon de commande et facture, ce qui fonctionne assez mal. Les fonctionnaires ont évidemment le droit de tomber malade ou de partir en congés, mais ce n’est pas une raison pour laisser traîner indéfiniment des ordres de paiement! Il n’y a pas plus grotesque que de concevoir une exposition sur l’exploitation de l’homme par l’homme et de courir une année durant derrière ses honoraires. Certains collègues en sont usés. (Ils se réfugient dans la niche du “graphisme d’auteur” de “l’artiste”.Beaucoup d’autres se contentent du travail seulement bien fait, du beau, même très beau, sans parti pris citoyen.)

Vous avez dit “graphisme d’auteur”. A voir vos actions et images, vous en faites vous aussi.
Prenons une de nos images, “l’Algérie”. Initiale- ment elle était demandée par un militant de la Ligue des droits de l’homme. Sur fond de drapeau national, un homme est pris entre le croissant rouge et l’étoile. Nous voulions donner une réplique à la situation complexe sous-tendue par la question “Algérie =barbarie?” La Ligue des droits de l’homme n’a pas osé prendre l’image. Les partis politiques et les associations que nous avons contactés non plus. (La lune musulmane, l’étoile rouge, le vert, le blanc, l’homme pris dans l’étau de la symbolique du drapeau national, il y a de quoi gêner la diplomatie...) Nous l’avons imprimée et diffusée parmi nos amis. On l’a d’abord utilisée dans un meeting de solidarité en Lorraine, puis à Paris dans les manifs où on se l’est arrachée. La télé l’a montrée au journal de 20heures. La guerre au Kosovo nous a menés à une image limite... Un cri de désespoir, intemporel. Le Kosovo c’était hier, c’est encore aujourd’hui, et viennent l’Indonésie, le Timor, la Tchétchénie et les autres lieux de crimes contre l’humanité sur tous les continents dont on ne parle pas, pas encore ou seulement en images “choisies”...

Quel statut aujourd’hui pour des images qui “parleraient”?
Sur une très ancienne affiche syndicale, on pouvait lire: “Sauvons-nous par nous-mêmes. Au- jourd’hui – et en direction des graphistes – je dirais: N’attendez pas le commanditaire pour créer l’image qu’il faut. Mettez votre grain de sel dans le plat de résistance contre les niaiseries politiques ambiantes. Faites des images autoportables et autoportées. Surtout ne les faites pas pour faire du graphisme.

+ images:
http://www.etapes.com/blog/?q=node/2035

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